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Carla Dejonghe : « La révision d'un loyer n'a jamais créé un seul nouveau logement »




Le Parlement bruxellois discutera d'une proposition d'ordonnance visant à lutter contre les loyers excessifs sur le marché du logement. Ceux qui soumettent la proposition veulent d'abord promouvoir la médiation au sein d'une Commission Paritaire Locative (CPL) composée d'associations de locataires et de propriétaires. Toutefois, la proposition prévoit également une procédure plus contraignante devant le juge de paix. Un entretien avec Carla Dejonghe, députée de Bruxelles, qui a co-négocié cette proposition pour l'Open Vld.

 

Carla Dejonghe : « Tout d'abord, cette proposition est un compromis, un bon compromis. Nous voulons rappeler à l'ordre les propriétaires qui, consciemment ou inconsciemment, demandent un loyer déraisonnablement élevé par rapport au loyer standard sur le marché du logement. Déjà en partant d’un réflexe de défense des droits des consommateurs, cela semble juste. Et un logement est plus qu'un bien de consommation, c'est aussi un droit fondamental. Les libéraux ne prennent pas cela à la légère. Nous demandons beaucoup de garanties, car le droit de propriété et le droit de conclure librement des contrats restent également des droits fondamentaux. »

 

LES PROPRIÉTAIRES

La première question qui vient à l’esprit est donc : quelles garanties ?

Carla Dejonghe : « La garantie la plus évidente est l’avis du Conseil d'État. Nous demandons un avis préalable. Le Conseil d'État ne manquera pas d'indiquer dans quelle mesure nous pourrons intervenir sur des droits aussi sensibles. Il demandera que les interventions soient proportionnées à l'objectif visé. »


Les propriétaires feront valoir que ce n'est pas le cas.

Carla Dejonghe : « Je n’en suis pas convaincue. La grande majorité des propriétaires demandent aujourd'hui un loyer raisonnable. Nous ne voulons pas qu'ils soient tenus responsables de problèmes sociaux qu’ils ne peuvent maîtriser. Ils doivent continuer à investir dans des logements locatifs de qualité et de plus en plus respectueux de l'environnement à Bruxelles. »


Quelle garantie la proposition leur donne-t-elle ?

Carla Dejonghe : « La définition-même de ce qui constitue un loyer excessif. Dans sa définition, le texte part d'une présomption réfutable de loyer abusif. Il y a présomption lorsque le loyer d’un logement est 20% supérieur au loyer moyen pour un tel logement sur le marché de la location. Cela signifie que tant la Commission Paritaire Locative (CPL) que le juge de paix partiront de la valeur marchande effective du logement. En prenant 20 %, nous avons fixé la limite bien au-delà de la fourchette de 10 % du loyer de référence dans laquelle le loyer fluctue idéalement avant qu'il n'y ait le moindre soupçon d'abus. La proposition vise à détecter les loyers non pas élevés, mais déraisonnables. »


Et si le propriétaire dit que sa propriété vaut le prix qu’un insensé serait d’accord de payer ?

Carla Dejonghe : « C'est un cliché. La grande majorité des propriétaires ne disent pas cela. Ils recherchent un retour sur investissement normal. Le fait que nous utilisions le marché réel de la location comme référence est leur garantie. C'est aussi la raison pour laquelle nous attendons avec la procédure devant le juge de paix que la grille des loyers de référence soit finalisée. La grille des loyers de référence existante n’est actuellement pas satisfaisante. Elle sera mise à jour jusqu'à ce qu'elle  donne une image représentative du marché locatif réel pour chaque quartier et chaque type de logement. Nous pensons que cela ne sera possible qu’une fois qu’elle sera basée sur un inventaire d'un échantillon d’environ 10% du marché du logement bruxellois. Et n'oubliez pas qu’il s’agit d’une présomption. Le propriétaire peut facilement réfuter cette présomption si, par exemple, des éléments de confort ou de qualité supplémentaires justifieraient un prix plus élevé. Nous pensons, par exemple, à de beaux parquets, des finitions luxueuses, une vue ou une localisation exceptionnelle, la domotique, ... ce sont vraiment les abus excessifs que nous visons ici. »


Vous avez dit à deux reprises que la plupart des propriétaires étaient d'accord avec ce principe. Combien de logements sont concernés ?

Carla Dejonghe : « Honnêtement ? Tout cela n'est que suppositions aujourd'hui, quoi qu'en disent certains. Le manque d'information est un problème et contribue à la stigmatisation inutile des propriétaires. Voici mon raisonnement : l'Observatoire des loyers s’appuie sur 10 % des biens locatifs sur base de la grille des loyers actuelle.  Cela représente environ 30 000 logements à Bruxelles. Premièrement, la grille des loyers actuelle n'est pas assez représentative et fait, en outre, en sorte que les propriétaires ajustent généralement leur loyer à la hausse, précisément parce que de nombreux propriétaires demandent encore toujours moins que le loyer usuel sur le marché locatif. À chaque révision de la grille des loyers, celle-ci tend à suivre la réalité et donc à augmenter, car  elle donne une image du marché, et ne le détermine pas. Deuxièmement, l'estimation se base sur une fourchette de 10% au-dessus et au-dessous du loyer de référence. Cette estimation indique, dans le meilleur des cas, le nombre de loyers élevés, principalement dans le segment plus haut de gamme. Pas ceux qui sont déraisonnablement élevés et pour lesquels nous avons fixé la présomption à 20 % par rapport au loyer de référence. Troisièmement, comme je l’ai dit précédemment, l'estimation ne tient pas compte de tous les logements pour lesquels la présomption peut être réfutée. »


Combien de foyers sont donc concernés ?

Carla Dejonghe : « Ni l'Observatoire ni moi-même ne pouvons le dire sur la base des données existantes. 1 %, 3 % ou 6 % ? 3000 logements ? 9000 ? 18000 ? Ma supposition est aussi bonne que la vôtre. Pas assez pour stigmatiser inutilement tous les propriétaires, mais assez pour s'y attaquer, car c’ est fondamentalement antisocial. Surtout lorsque l’on sait combien de personnes vulnérables cherchent un logement sur un marché locatif trop tendu à Bruxelles. Entendons-nous bien : nous nous rendons compte qu'il y a des problèmes sociaux majeurs sur le marché de la location, lorsque des familles, et souvent des personnes seules, consacrent 42% de leurs revenus à un  loyer. Les loyers ont augmenté de 20 % en 15 ans. Ils suivent les prix de l'immobilier. »


Et vous voulez donc régler ce problème par la révision des loyers ?

Carla Dejonghe : « Pas si vite. Seulement pour ce petit segment de 1 %, 3 % peut-être 6 % du marché de la location, et encore. La médiation et la transparence sur le fonctionnement de la CPL réduiront automatiquement ce nombre davantage. Les propriétaires raisonnables finiront à terme par en tenir compte et par objectiver leur loyer. Seuls les cas extrêmes seront légitimement examinés, et cela uniquement par le juge de paix. Celui-ci le fera après avis d'une CPL et dans un cadre juridique clair. Mais soyons précis, on peut s'attaquer aux propriétaires sans scrupules. »

 

LE LOCATAIRE

Les propriétaires n'ont donc pas à s'inquiéter avec cette nouvelle loi ?

Carla Dejonghe : « La grande majorité des propriétaires n'ont pas eu à s'inquiéter et n'ont toujours pas à le faire. Ils demandent des loyers raisonnables. Dans de nombreux cas, le système permettra même d'objectiver leur prix et d'apaiser les tensions avec leur locataire à cet égard. Les garanties nécessaires sont là. Mais attention. Nous sommes le parti de la liberté, de l'opportunité et de l'émancipation, pas le parti des propriétaires. Défendre les propriétaires et leurs biens et liberté est une chose, mais nous nous battons avec autant d‘énergie pour des logements abordables dans notre région. Lorsqu'il s'agit d'opportunités et d'émancipation (et le logement l’est aussi à ce sujet), nous sommes du côté de nombreux locataires. Cela ne signifie pas que vous pouvez réaliser l'un au détriment de l'autre. C'est de la démagogie. J'ai commencé par dire que c'est une bonne proposition, mais une révision des loyers n'a jamais produit ou rénové un seul logement supplémentaire. Au contraire, un trop grand nombre de révisions et d'interventions inconsidérées se traduisent par des logements de moins bonne qualité et, à long terme, par un nombre encore plus restreint d'unités. Les investissements privés sur le marché diminuent alors et les investissements publics ne les compensent que dans une mesure très limitée. Nous avons besoin de ces nombreux propriétaires privés. »


Cette proposition est donc un coup dans l’eau.

Carla Dejonghe : « C’est une bonne proposition pour la lutte contre les loyers déraisonnables, mais pas pour la crise du marché locatif. L'impact est presque nul sur l'offre. Le fait que même des défauts importants dans un logement donnent lieu à un soupçon de loyer excessif, est un élément qui peut faire pression sur le respect des conditions de qualité des logements sur le marché locatif. Il n'est certainement pas une mauvaise chose d'encourager l'investissement dans la qualité et même l'écologisation du logement. L'amélioration de la représentativité de la grille de location permettra d'objectiver le marché. Je pense même que cela pourrait être un signal d'alarme pour de nombreuses mesures visant à améliorer réellement le marché. Des mesures fortes et ciblées. Pas de symboles idéologiques ni d’attaques inutiles contre les propriétaires. »


Qu'est-ce que le plan bleu ?

Carla Dejonghe : « Il n'y a pas de grand plan. Ce n'est pas l'approche libérale. Nous allons, comme nous le répétons sans cesse depuis des années à qui veut l’ entendre, vers un mix de nombreuses mesures équilibrées et complémentaires : il y a le logement social traditionnel fourni par les sociétés de logement. Nous pouvons en construire de nouveaux, mais aussi et surtout rénover ceux qui existent déjà afin qu'ils soient de qualité suffisante et respectueux de l'environnement. Les Agences Immobilières Sociales (AIS) sont en essor. Il s'agit de logements privés gérés et loués par des acteurs publics à des loyers sociaux. Cela doit encore se développer là où c'est possible. Nous avons enfin obtenu, après avoir longuement insisté, d’accorder des allocations loyer aux personnes inscrites sur les listes d'attente pour un logement social, afin qu'elles puissent louer un logement sur le marché privé. Il s'agira environ de 12 500 d’aides au logement pour des célibataires et les familles. Cela représente 24 millions d'euros par an d'injection financière sociale dans la qualité et l'offre du marché locatif privé. Et voici une des choses que j'aime mentionner : il y a les crédits hypothécaires sociaux du Fonds du Logement bruxellois. Ceux-ci permettent de devenir soi-même propriétaire. Une formule réussie. Plus de 4 000 ménages qui entrent en considération pour un logement social sont ainsi devenus propriétaires au cours d’une seule législature. Ce nombre est bien plus élevé que le nombre de nouveaux logements sociaux traditionnels construits sur la même période. Une vision large de ce que peut être le logement social, public et privé, est déjà un premier pas. Ce qui fonctionne doit être soutenu indépendamment des idéologies au sujet de la propriété, du marché privé ou public. »


Et cela suffira ?

Carla Dejonghe : « ... Je n'avais pas encore fini. En 30 ans, 300 000 personnes ont emménagé à Bruxelles. Nous avons simplement besoin de plus de logements. La région doit délivrer plus rapidement des permis d'urbanisme aux promoteurs privés et publics pour les rénovations et les nouvelles constructions. C'est un point  crucial. Nous devons libérer et développer les réserves foncières plus rapidement, tant au niveau privé que public. Pensez aux sites Josaphat, Delta, Bruxelles Formation. Ils devraient également absorber une partie de la pression supplémentaire dans la périphérie bruxelloise, notamment en matière de logement social. Nous devons essayer de réduire le taux d'inoccupation des bâtiments, dont une grande partie appartient aux pouvoirs publics. Nous devons intégrer de nouvelles formes de logement dans le marché : convertir des espaces de bureau en logements, mieux encadrer les colocations ou cohabitations de locataires qui se multiplient et encourager l'achat collectif d'immeubles. Et puis il y a les achats sous la forme de bail emphytéotique. Il est indispensable de de suivre la situation. Et pour la confiance du marché, nous devons encore faciliter l'accès aux garanties locatives via les CPAS et le Fonds du Logement. Il en va de même pour les projets visant à prévoir un fonds de compensation pour les propriétaires en cas d'arriérés de loyer, par exemple en cas d’interdiction d'expulsion. Le gouvernement a un rôle majeur à jouer dans l'amélioration de l'accès à un logement abordable. Mais nous n'y arriverons jamais sans investissements du secteur privé dans l'offre. Et donc aussi les investissements des nombreux petits propriétaires qui investissent dans des biens locatifs. Nous avons aussi besoin de leur confiance. »

 

DIALOGUE

Nous sommes donc revenus au point de départ. Vous pensez donc  toujours que c'est une bonne proposition ?

Carla Dejonghe : « ... pour s'attaquer aux loyers excessifs par la médiation et éventuellement le juge de paix si nécessaire. Vous voyez ? Une fois que l'euphorie suscitée par les attentes irréalistes suscitées par cette proposition se sera calmée, les gens apprécieront l'effet réel. C'est pourquoi il est important maintenant de gagner la confiance en ce mécanisme de la part des deux parties, les associations de locataires et de propriétaires. Si l'une des deux parties n'a pas confiance et soupçonne un autre agenda caché, les commissions paritaires locatives resteront lettre morte, car... pas paritaires. Et pas de CPL signifie pas d'avis pour le juge de paix. Nous devons rétablir la confiance au plus vite  et nous asseoir avec les associations de locataires et les propriétaires autour d’une table. »